L'ENFANT SAUVAGE
Client:
HUMS
Year:
2022
J'ai rencontré la compagnie Hums et Thibault Pasquier à Avignon en Juillet 2022. Je venais d'assister à une lecture du texte de L'enfant sauvage et il sortait de Revanche, une pièce dans laquelle je jouait et pour laquelle j'ai composé la musique.
La création sonore de l’Enfant Sauvage a pour objectif de rendre palpable, vivant et actif l’environnement avec lequel les personnages interagissent, et de donner au spectateur l’occasion d’une identification profonde grâce à une comprehension sensible de leurs perceptions et de leur expérience.
Durant plusieurs semaines consacrées à la recherche, j’ai constitué une large banque de sons captés par des microphones 3D et binauraux. Mon objectif était d’avoir une diffusion du son la plus réelle, immersive, spatialisée et intime possible.
La musique, quant à elle, est un partenaire énergétique supplémentaire au plateau. Je voulais qu’elle se mêle à l’univers sonore de manière qu’on ne sache pas toujours discerner ce que les personnages entendent eux aussi ou non.
Dès le début de la pièce, le public est amené a vivre l’expérience de la chasse menée par l’enfant depuis le point de vue de celui-ci, de l’intérieur. Une des spécificités de cette écriture est, d’après moi, la façon particulière dont les personnages expriment de manière singulière chaque épreuve qu’ils traversent. Chaque expérience prend ainsi une valeure individuelle, unique, qui dessine chaque protagoniste dans sa perception et sa vision du monde, touchant à l’universel par la voie du plus personnel. On suit leurs pensées, leurs émotions et leur métamorphose, et le cours de leur pensée audible relaye et supplée peu à peu la voix de nos propres pensées dans nos tête.
En tant que compositeur et qu'interprète, je m’intéressais déjà depuis longtemps à la psychoacoustique, l’étude du différentiel entre les sons qui parviennent aux oreilles et leur perception et interprétation par notre cerveau. Ainsi, les sons de l’univers futuristique sombre dans lequel évolue les protagonistes ne sont jamais objectifs. Ils sont entendus par les spectateurs à travers le filtre de la perception d’un personnage. Son histoire, sa psychologie, ses émotions, vont « mettre en forme » (agrandir, diminuer, transformer) sa réception du son et c’est ce son « de l’intérieur » que partageront les auditeurs du publics, et qui viendra rencontrer leur spectre personnel.
L’histoire de l’enfant sauvage est en effet toujours une histoire de versions, d’interprétations. Chacun y voit un reflet de ses projections, de ses craintes, de sa nature profonde, d’un retour à lui-même. Ici, le différentiel social et culturel des trois figures (une scientifique de renommée internationale, un balayeur, un enfant qui a grandit seul dans la forêt primaire) est étiré à son paroxisme. Ce champ d’exploration nous fais nous demander « Quelle expérience du monde faisons nous ? » ou même « De quel monde faisons nous l’expérience ?». Cela nous permet de nous infiltrer de manière sensible dans une compréhension intuitive et universel de ce qui nous est le plus étranger, le plus différent. L’expérience intérieure de cette compréhension profonde est selon moi notre devoir le plus essentiel.